Xénoglossie et glossolalie

Mots-Clés : xénoglossie,glossolalie,langue des anges,Pentecôtisme,spiritisme,médium

Xenoglossie babel 3 "La Tour de Babel" - Jan van Scorel (1495–1562)

Des hommes et des femmes se dressent, en transe, et se mettent à parler dans des langues inconnues. Déjà, peu après sa mort, Jésus avait accordé ce don à ses apôtres ... La glossolalie est-elle une manifestation de possession, l'expression de la présence du Saint-Esprit, une réception de mystérieux messages venus d'au-delà de l'espace, etc.? En tout cas, ce « don des langues inconnues » est plus répandu qu'on ne le croit. ..

Un événement extraordinaire est sur le point de se produire. Le pasteur pentecôtiste prie avec ferveur et communique son enthousiasme à l'assistance. L'église résonne de « Gloire à Dieu ! », « Béni soit Jésus ! » et « Alléluia ! ». Soudain, une femme se lève. Sa voix couvre bientôt toutes les autres. Personne ne comprend le flot de sons inintelligibles qui sort de sa bouche. Cependant, chacun sait qu'il s'agit d'une louange du Seigneur. Puis le pasteur et l'assistance entament une série de prières pour remercier le Saint-Esprit de s'être manifesté et d'avoir accordé le « don des langues» à leur sœur.  

Pour assister à ce phénomène, il suffit de se rendre dans une église pentecôtiste. Il faut souvent s'y rendre plusieurs fois, car le « miracle» ne se produit pas automatiquement. De nos jours, le « don des langues », ou glossolalie, ne concerne que des langues non identifiées. Avant l'invention du magnétophone et de l’informatique, on croyait à l'existence réelle de ces langues. On en faisait des langues très rares ou très anciennes. Certains pensaient qu'il s'agissait des « langues des anges », que saint Paul mentionne dans la l’Épître aux Corinthiens.

Langue des anges 1"La langue des anges"

Mais le magnétophone et l'ordinateur n'ont jamais permis de découvrir un seul cas de véritable glossolalie. Les sons enregistrés pendant les services pentecôtistes constituent non pas de véritables langues (ce que, techniquement, on définirait comme xénolalie ou xénoglossie) mais des langages types. Un linguiste peut faire la différence entre glossolalie et xénolalie en analysant la structure des « langues » parlées : les « langues pentecôtistes » enregistrées n'ont ni vocabulaire ni syntaxe. On doit donc en conclure que ce ne sont pas des langues humaines.

Il reste que le phénomène constitue une forme particulière, mais réelle, d'expression religieuse. Des êtres, en principe trop timides pour s'exprimer en public, donnent libre cours à leur émotion mystique. L'assemblée, parcourue d'un courant extraordinaire, est convaincue que l'Esprit saint est présent, et le ´´glossolaliste´´ éprouve une intense libération psychologique. Cependant, cette forme de communication reste, par sa nature même, totalement émotionnelle et n'a qu'une valeur éducative et informative très limitée.

Dans beaucoup de congrégations, un « interprète » est présent. Il parle après le glossolaliste et croit sincèrement qu'il traduit les « langues » en langue de tous les jours. Cette interprétation, qui renforce l'extase de l'assemblée, n'est pas, bien sûr, une traduction en tant que telle.

Beaucoup de pentecôtistes font remarquer, à juste titre, que seul un petit pourcentage de toutes les « langues » a été enregistré et analysé. Ils affirment aussi que plus d'un étranger, en simple visite dans leur église, s'est converti parce qu'il avait reconnu sa propre langue. Des convertis témoignent eux-mêmes de leur expérience, parfois appuyés par ceux qui assistèrent au miracle. Ces histoires sont-elles toutes fausses ?

Il faut garder l'esprit ouvert et continuer à chercher des preuves : par exemple, l’enregistrement d'un « discours » où un étranger a reconnu sa langue. Si on trouvait un tel enregistrement, il faudrait aussi faire une enquête sur le glossolaliste pour être sûr qu'il n'avait aucune connaissance de la langue en question et qu'il ne savait rien de la visite de l'étranger. Jusqu'à maintenant, on n'a mené aucune enquête de cet ordre ...

Selon le Nouveau Testament, tout commença lorsque les disciples se rassemblèrent à Jérusalem pour la fête juive annuelle de la Pentecôte. Sept semaines s'étaient écoulées depuis la crucifixion de Jésus. Luc rapporte l'événement dans les Actes des Apôtres.

Le fait de s'exprimer dans des langues inconnues, que ce soit dans le langage des esprits, des ancêtres, des dieux ou des animaux totems, est encore pratiqué par les chamans et par les sorciers de tribus primitives dans le monde entier. C'est en fait la technique de communication surnaturelle la plus répandue.

Dans une tribu africaine patriarcale, les esprits Zar « affligent » judicieusement les femmes. Les victimes de possession sont presque toujours de sexe féminin, de même que l'interprète, ou exorciste. Cette dernière s'adresse à l'esprit Zar dans son langage ésotérique qui ne peut être compris sans interprétation. Le Zar, par la bouche de la victime, exige des vêtements somptueux, des parfums et autres objets de luxe. L'exorciste transmet la demande au mari ... sans oublier de se faire payer ! La malade ne recouvrera la santé que si le mari obéit à l'esprit. La maladie n'en est pas moins authentique.

Le chaman tient dans sa communauté la place qu'occupaient les prêtres et les saints dans le christianisme traditionnel. Dès la fin du 1er. siècle après Jésus-Christ, on exorcisait, ou on exécutait, les chrétiens qui se mettaient à parler des langues inconnues, preuve de leur « commerce avec le diable ». Mais les saints qui avaient le même don n'étaient pas inquiétés, car leur sainteté suffisait à les protéger.

Saint Pacôme (vers 292 - mai 348) un abbé égyptien, prétendait parler aux anges, usant d'un alphabet mystique qu'on ne pouvait comprendre qu'en état de grâce. Hildegarde, sainte allemande (1098-1179), parlait et utilisait aussi une langue et un alphabet inconnu, qu'elle traduisit en allemand. On en a gardé des spécimens qui furent plus tard analysés et publiés : c'était un mélange d'allemand, de latin et de mauvais hébreu.

Quand les sœurs ursulines de Loudun (1632-1634) furent ‘’envoûtées’’ par leur curé, Urbain Grandier, elles se mirent à parler des langues inconnues, où l'on reconnut des éléments de latin, de grec, d'espagnol, d'italien, de turc et même de dialecte amérindien. L'hystérie des religieuses ne fait aucun doute et résultait probablement d'une grande frustration sexuelle.

La glossolalie devint fréquente après la Réforme, bien que ni Luther ni Calvin n'y fussent favorables. La glossolalie semble liée à une grande tension. C'est ainsi qu'un différend de plus de quatre-vingts ans entre jésuites et jansénistes suscita chez ces derniers de nombreux cas de glossolalie.

A la même époque, des événements extraordinaires se produisirent parmi les camisards, protestants français des Cévennes. En 1685, quand on leur interdit de pratiquer leur culte et qu'on essaya de leur imposer la foi catholique, ils se révoltèrent. Trois mille camisards résistèrent aux soixante mille soldats du roi jusqu'en 1705.

La tension terrible qu'entraînait cette guerre d'embuscades et la crainte des représailles atroces que leur faisaient subir les soldats du roi quand ils les faisaient prisonniers, donnèrent lieu à toute une série de phénomènes paranormaux, dont des cas de glossolalie. Des centaines de « petits prophètes des Cévennes », des enfants de tout âge, faisaient de longs sermons en excellent français, langue qui leur était pourtant totalement étrangère.

LanguesCertains émigrèrent en Angleterre, où ils influencèrent les « enthousiastes », nom que l'on donnait alors aux chrétiens charismatiques. Une cinquantaine d'années plus tard, Ann Lee, confrontée à quatre pasteurs anglicans érudits, leur parla en plus de septante-deux (soixante-douze) langues. Impressionnés par tant de savoir, ils demandèrent qu'elle soit laissée en paix. Mais les persécutions continuant, elle émigra en Amérique et fonda la secte des Shakers.

Voici un enregistrement de glossolalie shaker : « 0 calivin Christe I no vole / Calivin Christe leste um / I no vole vinim ne viste / I no vole viste vum. » On n'y remarque rien de bien extraordinaire. On ne trouve rien de bien intéressant non plus chez les mormons, dont le fondateur, Joseph Smith (1805-1844), était pourtant glossolaliste. En tant que tel, il croyait à la glossolalie et en a fait un article de la foi mormone.

Voici un exemple de glossolalie mormone : « Ah, man, oh, son of man, ak ne commene en halle gaste en esak milkea, Jeremia, Ezekiel, Nephi, Lehi, St John. » Un glossolaliste mormon fit un jour en dialecte indien choctaw le récit d'une chasse. On l'interpréta immédiatement comme le récit glorieux de la fondation du temple de Salt Lake City ! De nos jours, les mormons reconnaissent l'existence de la glossolalie, mais ne lui accordent qu'une valeur spirituelle limitée et n'y sont guère favorables.

A partir de 1830, pas une année ne se passa sans qu'un cas de glossolalie ne fût signalé quelque part dans une église chrétienne. En Scandinavie, dans les années 1840, on assista à toute une série de comportements hystériques pendant le culte, dont beaucoup de cas de glossolalie. Vers 1850, l'église orthodoxe russe connut un renouveau religieux qui fut sensible jusqu'en Arménie.

De nombreux cas de glossolalie eurent lieu dans ce pays jusqu'en 1900. Dans les dernières décennies du XIXème siècle, les mêmes phénomènes étaient très fréquents dans les mouvements charismatiques, que ce soit en Caroline du Nord ou en Estonie. Il y en eut aussi beaucoup dans les campagnes évangéliques conduites par les Américains Dwight L. Moody et Ira D. Sankey.

Cette vogue mondiale de la glossolalie influença les étudiants du Bethel Bible College, à Topeka, dans le Kansas. Quarante d'entre eux décidèrent que « le baptême par le Saint-Esprit » était « quelque chose qui manquait » à leur expérience religieuse. Le 31 décembre 1900, leur pasteur, C.F. Parham, se trouva en présence d'un étudiant qui lui adressa un flot de paroles inintelligibles. Trente autres cas similaires se produisirent dans les jours qui suivirent.

Ainsi naquit le Pentecôtisme moderne. Les missions de Parham devinrent très vite populaires. On assista à de nombreuses guérisons, des conversions et des cas de glossolalie. Lors d'une manifestation pentecôtiste organisée par un étudiant de Parham à Los Angeles, un Anglo-Norvégien, T.B. Barrat, se convertit et devint «  l'apôtre pentecôtiste de l'Europe ».

Le mouvement pentecôtiste fit beaucoup parler de lui entre les deux guerres. En Amérique, Aimee Semple McPherson fonda « l'international Church of the Foursquare Gospel » (l'Église internationale du véritable Évangile). Elle fit construire à Hollywood un temple, dont la splendeur égalait celle des autres villas de cette capitale du cinéma. On y représentait des scènes de l'Évangile avec tout le décor voulu, et la beauté des chœurs d'anges était célèbre ...

En Angleterre, de 1926 à 1939, les membres de « l'Elim Foursquare Gospel » (Véritable Évangile Elim) de George Jeffreys occupèrent les salles de l'Albert Hall pendant la semaine pascale.

De nos jours, les Assemblées de Dieu, le plus important des groupes pentecôtistes, ont des congrégations dans presque tous les pays où existent des communautés chrétiennes. Pour les pentecôtistes d'aujourd'hui (en 2011, le mouvement a recensé environ 279 millions d’adeptes dans le monde), la glossolalie n'est plus aussi importante. Ils n'en nient cependant pas la réalité et la considèrent comme la preuve de l'existence du Saint-Esprit dans le monde.

La glossolalie se produit aussi dans d'autres contextes chrétiens. Le Vendredi saint de l'année 1926, un médium chrétien qui vivait en Bavière vit apparaître des stigmates sur son corps. Elle semblait revivre la passion du Christ. Dans les phrases qu'elle prononça en araméen, on reconnut plusieurs paroles que le Christ aurait murmurées sur la croix. Elle utilisait des expressions familières qu'on ne trouve pas dans l'araméen écrit, et sa prononciation était correcte. Certains pensent qu'elle était en communication avec un témoin de la crucifixion.

XenoglossieCette communication avec une personne morte depuis longtemps nous amène au spiritisme. De fréquents cas de glossolalie se manifestèrent pendant les séances spirites, très en vogue au siècle dernier. Certains médiums affirmaient que les esprits leur parlaient dans des langues inconnues, compréhensibles seulement pour celui à qui s'adressait le message. Parfois, aucun membre de l'assistance ne comprenait ce qui se disait, et il fallait faire appel à un linguiste pour identifier la langue. Dans d'autres cas, l'esprit parlait directement, il se passait de l'intermédiaire du médium et les paroles semblaient venir de nulle part. D'autres médiums entendaient des voix, dans des langues qu'ils ne comprenaient pas. Ils essayaient alors de les transmettre de leur mieux.

Bien que la glossolalie soit loin d'être un fait récent, on ne sait toujours pas comment l'expliquer. Vient-elle du subconscient? Un saint qui prétend parler « la langue des anges » tire-t-il simplement mieux parti de la capacité d'invention que nous possédons tous? Un médium parlant une langue qu'en principe il ne connaît pas se rappelle-t-il de paroles entendues « en fait » pendant sa vie mais oubliées au niveau conscient? La glossolalie est-elle une sorte de transmission de pensée, le glossolaliste ayant la capacité de lire dans l'esprit de l'étranger dont il parle la langue?

L'état actuel des recherches ne permet pas de trancher. Quant aux explications traditionnelles, elles sont d'un tout autre ordre : croire que la glossolalie est inspirée par Dieu ou par un esprit exige la foi et ne relève plus du domaine de la science.

 

Astral 2000- Gérard – Avril 2019

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