Les jardins de Bomarzo -1 (IT)

Mots-Clés: Jardin de Bomarzo,Italie,Rome,ésotérisme,symbolisme

BomarzoS'il est des lieux où souffle l'esprit, Il est aussi des lieux où sourd la tradition. Parmi les demeures philosophales chères à Fulcanelli, le parc des Monstres du château de Bomarzo, dans le Latium, est un des plus troublants : Quel étrange savoir caché a-t-on voulu enfermer dans ces fantômes de pierre ? Pour qui grimacent ces Monstres ?

Je vous invite à cette visite poétique mêlée d’ésotérisme, de symbolisme et de philosophie.

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Au cœur du Latium, entre les cités d'Orte et de Viterbe, à quelque 80 km au nord de Rome, on peut découvrir un lieu inquiétant, envoûtant et mystérieux, où pourtant bien peu de voyageurs font halte pour y goûter le repos.

L'ombre tutélaire du château de Bomarzo, érigé sur une éminence rocheuse, qui n'est pas sans rappeler quelque Potala tibétain égaré en Europe, se projette sur le bourg. Ce manoir a une réputation peu rassurante si l'on songe que cette altière demeure, vaste de quatre cents pièces, refuge inexpugnable de la noblesse « noire », est hantée par le fantôme des Orsini, puissants seigneurs de la Renaissance et descendants de la noblesse romaine, à la fois craints et admirés pour leur cruauté et leur munificence.

Du haut de cette puissante bâtisse, construite il y a cinq cents ans, dont les portes grinçantes et les vents coulis font plutôt songer à la demeure d'un comte transylvanien qu'à une aimable construction du Quattrocento, on jouit cependant d'une vue admirable donnant sur le panorama de cette campagne si justement réputée pour sa beauté, chère aux peintres romantiques.

« Le pays, nous conte André Pieyre de Mandiargues, autre visiteur de ces lieux, coupé de vaux et de collines modestes, ne manque pas de sources. Les fonds ont de petits bois ombreux surtout de chênes verts, avec une broussaille épineuse, très dense, qui par leur obscur éclat rappellent inévitablement le fameux "bois sacré", lieu commun de nos versions latines. L'air a du latin partout, d'ailleurs, et l'on ne serait pas surpris de voir des satyres. »

C'est au centre de ce cadre évocateur d'une immémoriale théurgie, bercé par le murmure des Sibylles, que l'on découvre le parc des Monstres, véritable fantasmagorie projetée dans le réel, si l'on en croit Salvador Dali. Œuvre inquiétante d'un seigneur hanté par un rêve délirant pour certains, ce n'est qu'un simple jeu de l'imagination capricieuse pour d'autres.

Comme toujours, la vérité se situe dans un juste milieu tant il est vrai que ce jardin, parsemé de sculptures aussi étranges qu'insolites, prend place parmi les demeures philosophales chères à Fulcanelli, à côté de la villa Palombara à Rome, de l'hôtel Jacques-Cœur de Bourges et d'autres logis alchimiques.

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Délimitant un espace sacré où tout concourt à envelopper le promeneur dans un « ailleurs » indéchiffrable, cet ensemble conçu par une volonté supérieure, où la végétation luxuriante le dispute en exubérance aux extravagances monumentales, plonge l'âme dans un état de concentration extrême, miroir où viennent se refléter les formes, prodigieuses et monstrueusement baroques à la fois, d'un univers mental aux profondeurs abyssales.

C'est ce vallon ombreux, parsemé de rochers énormes, pareils aux ossements pétrifiés de quelque géant des temps anciens, que choisit le duc Vicino Orsini pour planter le décor onirique du « monstrueux troupeau de Bomarzo ».

Des Lettres du poète Annibale Caro, datées de 1564, mentionnent déjà l'existence du parc mystérieux, encore entouré aujourd'hui d'un épais manteau de mystère.

Car une surprenante unité se dégage du parc, dont les ensembles sculptés suivent docilement la courbe du terrain et entraînent le voyageur dans une spirale toujours plus concentrique.

Point n'est besoin d'évoquer le mythe d'Andromède ou certains épisodes de La Légende dorée liés à la tradition de La Belle et la Bête pour s'abandonner aux flots irréels d'une atmosphère où les jeux de lumière viennent ajouter une quatrième dimension aux enlacements tentaculaires des mousses et des racines disputant aux pierres la possession de ces lieux.

On ne peut aborder le bois sacré de Bomarzo qu'en empruntant un chemin d'accès facile débouchant rapidement sur un petit temple « à l'antique » envahi par l'herbe folle et dont la base, noyée dans la verdure, s'élance en un élégant portique bizarrement incliné vers le ciel comme un vaisseau dans la houle.

Nous voici au seuil du sanctuaire, ayant déjà franchi le parvis de la « Cella octogonale » où s'accomplira le mystère de l'art royal. Un œil exercé aura remarqué à la clef de voûte un arcane solaire figuré sous la forme sculptée d'un phénix aux ailes déployées, signature secrète autant que persistante des disciples d'Hermès.

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Ayant soulevé le voile, il ne reste plus qu'à lire dans le « livre de pierre » et à tenter de décrypter le rébus proposé à la méditation du visiteur solitaire, tout en suivant la voie périlleuse autrefois réservée au néophyte aspirant à la découverte des mystères ouverts à la compréhension du seul initié.

A l'intérieur du « Jardin clos » attend le « Gardien du Seuil » sous la forme d'un cerbère ou chien tricéphale dont les gueules béantes menacent le visiteur d'invisibles morsures. Porté sur les ailes de la cabale phonétique, on songe au khan asiatique, souverain mystérieux de la Mongolie en rapport avec l'ouverture des souterrains gardés de l' Agartha, et au Cave Canem latin, devise trop souvent incomprise, de même que le kleb égyptien se confond, à travers l'argotique langue verte, avec le « Chien brillant parmi les astres », fêté par les Romains à la canicule sous la forme d'Apollon Lykeios (le tueur de loups) et qui, d'une autre manière, est le dieu Hermès, cet Anubis des vases canopes quaerens quam devoret.

Poursuivant le chemin, on accède bientôt, en descendant l'escalier de pierre aux marches usées par le temps, à un espace quadrangulaire de dimensions imposantes, plateau absolument vide seulement délimité par un décor alterné de grosses pignes de pin et de glands de chêne taillés dans la masse d'un pépérin volcanique.

Les fruits de l'abondance éclairant cette nudité figurent le symbole le plus parfait du germe de l'esprit présent dans les virtualités prodigieuses du règne végétal, où s'accomplit le processus originel de l'individuation, grosse d'une promesse de naissance, de croissance, de déclin et de mort puis de renaissance, prenant pour origine le cycle de la graine plantée en terre après sa chute du fruit putréfié. « La vie en hibernation entretient le Feu secret et nous récolterons ce que nous aurons semé. »

En continuant son chemin, on tombe ensuite nez à nez avec deux ourses de pierre, dressées sur leurs pattes de derrière. L'une tient entre ses griffes une énorme rose de pépérin, et l'autre les armes parlantes de la noble lignée des Orsini dont les origines se retrouvent dans l’Antiquité. Point n'est besoin d'être magicien pour comprendre que l'ordre des Ursidés a été choisi comme emblème par les ducs romains en raison de l'homophonie existant avec leur propre nom (le nom italien Orsini signifie : Ourses).

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Mais l'identification va beaucoup plus loin si l'on songe que l'ours est l'animal polaire, le symbole du centre par excellence, le roi Arthur des récits du Graal n'étant que la figuration sublime de l'ours arctique, placé chez les Celtes, comme chez tous les peuples issus de la tradition primordiale, au milieu de la voûte céleste, dans la constellation où scintille l'étoile Polaire, justement dénommée « Petite Ourse »,

Si les Orsini assimilaient la rose à la connaissance secrète (Sub Rosa) et les plantigrades de leur jardin aux deux constellations du Chariot d'Arthur (Grande Ourse et Petite Ourse), nul doute ne subsiste quant à leur initiation aux arcanes les plus profonds de l'hermétisme ...

Dans l'esprit s'entrechoquent alors, au contact de cette vérité étincelante, la devise des ducs de Berry : Ursine, le temps viendra, le symbole cher au duc Jean : l'ours de son tombeau, la prédiction du « royaume du Centre » (Bourges), et la promesse de la restauration saturnienne de l'âge d'or, faisceau de pensées qui, en un bond prodigieux du mental, lance un arc-en-ciel au-dessus de la terre et des eaux pour unir la patrie des Bituriges au berceau de la race étrusque.

Mais, après avoir dépassé les deux fauves postés en veilleurs immobiles à la limite de l'esplanade, il faut pénétrer, en écartant les frondaisons, dans l'angle secret du parc qui a pour toile de fond un décor sylvestre, et tomber en arrêt devant une sorte d'éperon rocheux qui suit la pente déclive du terrain. A gauche, un groupe formé par deux lions accompagnés d'un chiot semblant les harceler et par la statue d'une femme-sirène au sourire énigmatique et au corps gracieux se terminant en une queue de poisson squameuse et bifide ...

A droite, une autre figure féminine de la même nature composite fixe l'Orient, avec son tronc mutilé duquel s'échappent deux ailes membraneuses de chauve-souris et une queue serpentine de monstre marin.

Voici donc Ursine, certainement la mère de l'ours : Matres ursinae. La Mélusine du Moyen Age, la force qui régit l'espèce, la puissance libératrice et ambiguë de l'instinct.

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Nous voici reportés sept cents ans en arrière, dans un autre lieu chargé de mystère : le château des Lusignan, cette famille poitevine qui a pour aïeule une fée venue de la lointaine Arménie afin d'épouser l'ancêtre de la lignée, sur laquelle s'est acharné depuis un sort funeste. Les récits médiévaux ne font-ils pas état de mortels qui commirent l'erreur fatale d'épier malencontreusement Saturne le jour qui lui est consacré, lorsque le dieu ouranien revient de sa course à travers l'Univers sous une forme amphibie et monstrueuse en liaison avec l'élément eau (nageoires) et air (ailes)?

Dans cet angle sont révélés, sous leurs formes fantastiques, les arrêts du destin qu'il convient de respecter lorsqu'il advient que d'étranges épouses soient données en mariage à des mortels pressentis pour de hautes entreprises et appelés à devenir des fondateurs de dynastie.

Les deux lions qui se tiennent près de Mélusine sont les symboles alchimiques du « fixe » et du « volatil » et résument la formule selon laquelle il faut « corporifier les esprits et spiritualiser les corps ». Ils regardent chacun dans une direction opposée, attirés l'un par l'air, l'autre par l'eau, éléments que l'on ne peut affronter simultanément sans être en grand péril.

Passant avec circonspection entre ces sculptures qui ne daignent pas s'abaisser à regarder celui qui les contemple, et non sans avoir éprouvé le besoin de sentir le contact de ces croupes moussues et glacées, on se retrouve sous les frais ombrages d'une voûte de verdure, pour goûter quelques instants de repos tout en écoutant le paisible murmure du ruisseau. Puis, descendant la pente qui aboutit dans les fonds du vallon, on atteint une zone de plus en plus obscure. Un sentier se dirige vers le rebord d'une cascade, qui se fraye un chemin difficile au milieu d'énormes rochers, entre lesquels on peut apercevoir la silhouette lointaine du château.

Maintenant, au cœur de cet étrange jardin qui cherche à nous signifier quelque mystérieux savoir oublié du commun des mortels, l'image de la « Mort dévorante » va nous glacer d'une terrible peur cosmique ...

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La suite "Les jardins de Bomarzo -2 (IT)" ICI

Astral 2000 – Gérard – Novembre 2020

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