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FANTÔMES DU PETIT TRIANON

Mots-Clés : Petit Trianon, Versailles, Marie-Antoinette, Ann Moberley, Éléonor Jourdain, petit kiosque, comte de Vaudreuil, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI, Charles Richet

Petit trianon

Le Petit Trianon

L'étrange aventure vécue par deux touristes anglaises visitant Versailles au tout début de ce siècle a suscité bien des controverses. Les deux femmes se sont-elles trouvées soudain transportées, ainsi qu'elles l'affirmèrent, à l'époque de Marie-Antoinette ? Et le fantôme de l'infortunée reine de France hante-t-il toujours Trianon ?

Par un bel après-midi du mois d'août 1901, Miss Ann Moberley et Miss Eleanor Jourdain, deux respectables Anglaises d'âge mûr qui passent leurs vacances à Paris, décident de se rendre au château de Versailles, qu'elles ne connaissent encore ni l'une ni l'autre. Ces deux femmes cultivées (Miss Moberley exerce les fonctions de principal du collège Saint-Hughes d'Oxford, tandis que Miss Jourdain dirige une école de filles à Watford) s'intéressent en effet tout particulièrement aux sites historiques.

Précisons enfin que ces deux enseignantes, estimées de leur entourage, n'ont jamais manifesté, jusque-là, de crédulité ou d’émotivité excessive.

Miss eleanor jourdain miss ann moberley

Miss Eleanor Jourdain - Miss Ann Moberley

Après avoir visité les différentes salles du château, nos deux demoiselles s'arrêtent dans la Galerie des Glaces pour s'y reposer quelques instants. Il fait un temps magnifique. Par les fenêtres ouvertes leur parviennent les effluves embaumés des jardins en fleurs. Aussi décident-elles de diriger leurs pas vers le Petit Trianon, le ravissant petit château construit par Gabriel pour Louis XV et Mme de Pompadour, que Louis XVI offrira ensuite à sa jeune femme Marie-Antoinette.

Elles traversent donc le parc et longent le Grand Canal, à l'extrémité nord duquel s'élève le Grand Trianon, dont Mansart traça les plans pour le Roi-Soleil. De là, elles prennent sur leur gauche et arrivent à une large avenue de verdure.

Mais les deux promeneuses ne sont pas très sûres de la direction à suivre, si bien qu'au lieu d'emprunter cette route, qui les aurait effectivement conduites tout droit au Petit Trianon, elles la traversent et s'engagent dans une petite allée latérale ...

C'est alors que Miss Moberley remarque une femme qui agite un linge blanc par la fenêtre d'un petit pavillon qui marque l'angle de l'allée en question. Sur le moment, elle s'étonne que son amie ne se soit pas arrêtée pour demander son chemin, mais elle poursuit sa conversation et cet incident lui sort de l'esprit. Plus tard, toutefois, elle mentionnera ce fait à Miss Jourdain et apprendra alors que si celle-ci n'a pas réagi, c'est qu'elle n'a vu ni femme ni pavillon ...

A ce moment, en effet, les deux Anglaises bavardent avec animation, s'entretenant de l'Angleterre et des amis qu'elles y ont laissés, et elles n'ont encore rien remarqué d'insolite dans les lieux qu'elles traversent. Elles tournent sur leur droite, longeant quelques petits bâtiments : un porche entrouvert leur laisse apercevoir les dernières marches d'un escalier sculpté. A cet endroit, trois sentiers se présentent devant elles. Sans s'arrêter, elles choisissent celui du milieu, pour la seule raison que deux hommes munis l'un d'une sorte de brouette, l'autre d'une bêche y travaillent.

Il doit s'agir, pensent-elles, de jardiniers affectés à l'entretien du parc, encore que le costume de ceux-ci (long manteau verdâtre et petit chapeau à trois cornes) leur paraisse assez étrange ! Miss Moberley et Miss Jourdain continuent leur chemin dans la direction indiquée par les ouvriers, toujours plongées dans leur conversation.

Cependant, toutes deux commencent à se sentir curieusement oppressées sans qu'elles se fassent, sur le moment, part de cette sensation, qu'elles ne se confieront que par la suite. Le paysage alentour leur semble étrangement dépourvu de relief et comme réduit à deux dimensions, un peu à la manière d'un décor de théâtre. Leur sentiment de malaise s'accroît encore à mesure qu'elles se rapprochent d'un petit kiosque circulaire qui s'élève au milieu des jardins.

Marie antoinette

Marie-Antoinette

Là est assis un homme dont la physionomie basanée et peu avenante les impressionne désagréablement. Il porte, notent-elles au passage, une sorte de houppelande et un chapeau à larges bords. Elles sont alors plutôt incertaines quant à la route à suivre, mais rien au monde ne pourrait les inciter à aborder l'inconnu du kiosque ...

Soudain, des bruits de pas résonnent derrière elles. Pourtant, lorsqu'elles se retournent, le sentier est vide ... A cet instant, Miss Moberley remarque un autre personnage qui se tient debout non loin d'elles et qui semble avoir surgi comme par magie du paysage environnant. Il lui apparaît comme « un gentleman accompli ... de haute taille, avec de grands yeux sombres et une chevelure noire et bouclée », lui aussi porte un manteau ample et un grand chapeau. Le nouvel arrivant leur indique leur chemin avec un empressement et une sorte de jubilation intérieure tout à fait singuliers (les deux femmes se souviendront longtemps encore de son sourire si particulier).

S'engageant dans la direction qu'il leur a montrée, elles se retournent pour le remercier de son obligeance : à leur grand étonnement, il a déjà disparu! Elles entendent à nouveau des pas derrière elles, tout proches leur semble-t-il, mais à nouveau elles ne voient personne.

Elles traversent alors un petit pont qui enjambe un ravin miniature où bouillonne une cascade du plus charmant effet, et elles arrivent finalement à une demeure campagnarde de forme carrée, se prolongeant au nord et à l'ouest par deux terrasses. Miss Moberley aperçoit une femme qui semble occupée à dessiner : elle est assise dans l'herbe, le dos appuyé à la balustrade de la terrasse. L'inconnue les regarde fixement tandis qu'elles passent devant elle, et l'Anglaise distingue alors son visage : ses traits fort beaux, qui trahissent toutefois un âge certain. Elle porte une longue robe faite d'un fin tissu, avec une sorte de fichu drapé assez bas sur les épaules. Son abondante chevelure blonde est surmontée d'une vaporeuse capeline blanche.

Les Anglaises passent en silence devant la mystérieuse dame et gravissent les marches conduisant à la terrasse. Miss Moberley a de plus en plus l'impression de vivre un rêve éveillé. Elle distingue encore une fois la singulière silhouette féminine, vue de dos cette fois. Et elle se sent soudain inexplicablement soulagée à l'idée que son amie ne s'est pas adressée à l'inconnue pour lui demander s'il était permis de pénétrer à l'intérieur de la maison. En fait, elle apprendra que Miss Jourdain n'a vu aucune femme lorsqu'elles sont arrivées.

Les deux touristes sont arrivées à l'angle sud-ouest de la terrasse. En revenant sur leurs pas, elles remarquent une seconde maison, d'où sort un jeune homme (il avait l'air d'un valet de pied, diront-elles) qui se propose de leur faire visiter les environs. Mais un groupe bruyant et joyeux arrive alors sur les lieux (il s'agit des invités d'une noce) et interrompt le dialogue. Comme un charme qui se rompt, l'indéfinissable malaise se dissipe et les deux femmes reprennent pied dans la réalité.

Mais un groupe bruyant et joyeux arrive alors sur les lieux

Mais un groupe bruyant et joyeux arrive alors sur les lieux …

Durant toute la semaine suivante, les deux amies ne feront entre elles aucune allusion à cette journée, qu'elles semblent inconsciemment vouloir oublier. Mais lorsque Miss Moberley entreprendra de coucher par écrit le récit de sa visite à Versailles, elle se sentira à nouveau envahie par la même étrange sensation d'oppression. « Pensez-vous que le Petit Trianon soit hanté ? » demande-t-elle tout de go à Miss Jourdain, qui lui répond sans hésiter par l'affirmative. C'est alors seulement qu'elles constatent, en comparant leurs notes et leurs souvenirs respectifs, à quel point leur perception des événements diffère.

Trois mois après ce jour mémorable, les deux femmes rédigent un récit complet et détaillé de leur aventure. Et c'est bien justement ce long délai qui apparaîtra suspect : des révélations aussi tardives susciteront le scepticisme des contemporains. Comment imaginer, objecteront les sceptiques, que des souvenirs datant de trois mois puissent être suffisamment précis et exacts ? De toute évidence, un témoignage immédiat, moins élaboré, aurait été plus fiable. En d'autres termes, nos dignes demoiselles sont soupçonnées d'avoir laissé libre cours à leur imagination et d'avoir enjolivé la réalité.

D'autant qu'elles ont pu être influencées - consciemment ou inconsciemment - par les nombreuses légendes relatives à Trianon. On sait par exemple qu'un des amis parisiens de Miss Jourdain lui a raconté que plusieurs habitants de Versailles affirment que le fantôme de Marie-Antoinette leur est apparu, précisément pendant une journée du mois d'août : la reine, assise sur les pelouses du Trianon, portait une robe rose et une grande capeline à bords souples.

Les uns voient dans ces scènes venues du passé une réminiscence des dernières fêtes champêtres et des derniers divertissements donnés en ces lieux par la souveraine promise à un destin tragique. D'autres soulignent que ces apparitions sont toujours survenues le jour anniversaire du fatal 10 août 1792, qui vit la mise à sac des Tuileries et qui marqua le début de la captivité et du martyre de la famille royale.

Plan petit trianon

Plan des jardins

Miss Moberley et Miss Jourdain n'avaient peut-être pas jusque-là pris conscience du caractère extraordinaire de leur aventure. Elles commencent à croire qu'elles ont pénétré à leur insu dans un autre univers temporel, dans une sorte de projection du passé émanant de ces lieux si fortement imprégnés de la personnalité de la reine Marie-Antoinette. Terriblement bouleversées et perplexes, les deux femmes sentent qu'il leur faut absolument retourner à Versailles.

Miss Jourdain se rend donc de nouveau à Trianon, seule cette fois, dans le courant du mois de janvier suivant. Là encore, elle ressent comme une sorte d'envoûtement, tenant à la fois à l'atmosphère magique du site et à divers incidents insolites. Mais certains détails ont changé depuis l'été précédent. Le kiosque, par exemple, lui semble différent et il ne s'en dégage plus cette impression d'inquiétude qu'elles avaient éprouvée auparavant.

En fait, c'est seulement lorsque l'Anglaise s'engage sur le petit pont qui mène au célèbre Hameau, où Marie-Antoinette et ses compagnes aimaient tant à jouer aux bergères, qu'il lui semble franchir comme une frontière invisible délimitant deux univers différents. Elle remarque notamment une charrette, que deux paysans vêtus d'une sorte de tunique et d'une cape à capuchon sont en train de charger de bois mort. A ce moment, elle détourne un instant la tête pour observer le Hameau et, lorsqu'elle les cherche à nouveau des yeux, la charrette et les deux hommes ont disparu.

Elle note encore d'autres faits étranges : elle voit un homme enveloppé d'un grand manteau qui se glisse furtivement entre les arbres. Elle entend tout près d'elle le bruissement de robes soyeuses sans entrevoir âme qui vive. Les échos assourdis d'une musique allègre lui parviennent de temps à autre, comme provenant d'un orchestre tantôt lointain, tantôt tout proche. Enfin, elle a la sensation très nette d'être entourée par une foule de figurants invisibles. Rien, cependant, ne rappelle ce qui s'est passé en août 1901.

Dessin d apres les temoignages des deux anglaises

Dessin d’après les témoignages des deux anglaises

Les deux amies reviendront à Versailles plusieurs fois par la suite, sans jamais revivre leur première expérience. Au contraire, le parc lui-même leur apparaîtra singulièrement différent par rapport à leur première visite : les bosquets n'occupent plus la même place et les sentiers ne suivent plus le même tracé ; les bâtiments, qui leur avaient paru presque neufs, portent les marques du temps et certains murs tombent même en ruine ; le kiosque n'existe plus. Plus de trace, enfin, du petit pont, du ravin miniature et de la cascade.

Le Trianon du XXème siècle n'offre plus guère de ressemblance avec le site qu'elles ont parcouru précédemment. Fort troublées, Miss Moberley et Miss Jourdain décident d'orienter leurs recherches vers le passé ...

Comment expliquer leur extraordinaire aventure?

Il faut rappeler qu'à l'époque de l'apparition des « fantômes » de Trianon, aucune étude sérieuse n'avait encore été consacrée aux phénomènes de rétrocognition. C'est ce qui explique en partie les manifestations de scepticisme, voire d'hilarité, qui furent enregistrées lorsque les deux Anglaises rendirent publique leur étrange aventure.

Pour beaucoup de contemporains, il était évident que ces deux femmes d'âge mûr, naïves et peut-être même un tantinet hystériques, avaient eu des hallucinations. Sans doute leur mémoire était-elle défaillante, ou bien encore, en suivant leur incorrigible penchant au romanesque, avaient-elles ainsi agrémenté une réalité par trop banale... De plus, il sembla incroyable que les deux touristes n'aient pas réalisé sur le moment qu'elles voyaient des choses qui ne pouvaient pas exister réellement.

Les réactions de Miss Moberley et de Miss Jourdain témoignent néanmoins d'un certain bon sens : elles étaient devenues suffisamment conscientes du caractère anormal de leur expérience pour tenter d'élucider le mystère à l'aide de documents historiques. Au cours des années suivantes, elles devaient effectuer des recherches minutieuses concernant la construction de Trianon : modifications successives de l'architecture originale, plans des jardins, costumes et livrées des serviteurs du château, etc.

A cet égard, il semble qu'on ne puisse guère prendre en considération l'hypothèse émise par un journaliste, qui insinuait que les deux femmes s'étaient méprises et qu'elles n'avaient pas réalisé qu'elles avaient vu, en fait, des personnages contemporains, vivant eux aussi en 1901. Pourtant, l'uniforme vert et le tricorne des jardiniers n'étaient certainement plus portés par le personnel de Versailles au début du siècle. Et d'ailleurs, comme le firent remarquer Miss Moberley et Miss Jourdain, à la lumière de leurs recherches historiques : « Le vert était la couleur de la livrée royale et, comme tel, n'était plus porté à Trianon, pas plus qu'à Versailles ».

On a également suggéré que les deux Anglaises avaient pu se trouver mêlées sans s'en apercevoir à quelque fête costumée ( de même que la musique entendue par Miss Jourdain aurait pu provenir d'un orchestre bien réel, quoique lointain). Pourquoi pas, mais comment expliquer alors que les acteurs de cette mascarade se soient promenés dans des bosquets qui n'existaient plus et qu'ils aient suivi des sentiers disparus depuis longtemps, lors de ce bel après-midi d'août 1901?

A cela, on peut répondre que Miss Moberley et son amie erraient, elles aussi, sur les mêmes sentiers et parmi les mêmes bosquets. Certes, mais elles n'étaient pas vêtues des mêmes toilettes désuètes appartenant manifestement à une autre époque. De plus, en ce qui concerne la musique entendue en janvier 1902, les vérifications ultérieures semblèrent prouver qu'aucun orchestre n'avait joué ce jour-là, ni dans le parc, ni aux environs.

Le kiosque dont elles se souvenaient, ressemblait assez à celui qui figure sur les plans originaux de Trianon : il s'agissait d'une « ruine artistique » à but purement décoratif. Malheureusement, on ignore si cette « folie » est restée à l'état de projet ou si elle a été effectivement réalisée. Ce même kiosque posera d'ailleurs bien des problèmes à Miss Moberley et à Miss Jourdain, tellement désireuses de l'identifier à l'un des éléments du Trianon d'origine qu'elles se laissèrent aller à de fâcheuses contradictions dans leurs dépositions successives.

Kiosque

Le kiosque

« L'édifice avait un petit air oriental », déclarèrent-elles notamment. Léon Rey, qui écrivait alors dans La Revue de Paris, pensa pouvoir assimiler l'édifice à un petit bâtiment dit « Jeu de bague », dont le style était en effet vaguement chinois. Mais les deux Anglaises réfutèrent cette hypothèse, arguant des différences notables existant entre le kiosque de leurs souvenirs - qu'après tout elles avaient « vu » de leurs yeux - , ce qui n'était pas le cas de M. Rey et le Jeu de bague.

Notons toutefois que cette allusion de leur part à un style chinois date seulement de 1909, si bien qu'il est permis de penser que les dignes femmes se sont laissées influencer par leur imagination. Néanmoins, nous savons qu'en 1774 le jardinier royal de Marie-Antoinette, Antoine Richard, traça des plans qui indiquent l'emplacement d'un petit kiosque de jardin, du type de celui qu'avaient vu les deux femmes.

Lorsque l'on examine aujourd'hui les faits rapportés par Miss Moberley et Miss Jourdain, ainsi que les innombrables commentaires et articles qui suivirent (pratiquement sans interruption jusque vers les années cinquante), il en ressort surtout une extraordinaire impression de confusion du fait des interprétations contradictoires qui furent avancées. Ainsi, l'homme à la mine sinistre qui inspira aux deux amies une aversion instinctive fut identifié par certains comme le comte de Vaudreuil, dont on connaît le rôle funeste durant la fin du règne de Marie-Antoinette. D'autres, par contre, y virent l'incarnation diabolique du vieux roi Louis XV. De la même manière, il n'est pas un détail rapporté par les Anglaises qui n'ait fait l'objet d'explications aussi ingénieuses que diverses et parfois fort hasardeuses.

D'autre part, on a accusé les demoiselles d'avoir, au cours de leurs recherches, retenu uniquement des éléments susceptibles de confirmer et d'attester leur incroyable aventure. Les deux femmes professeurs furent parfois présentées comme deux vieilles filles refoulées, nourries de toutes sortes d'inepties romanesques concernant le destin tragique de Marie-Antoinette.

Et pourtant, ce n'est pas l'impression que laissent les écrits de Miss Moberley et Miss Jourdain (leur ouvrage, « An Adventure », fit l'objet de plusieurs éditions successives, remaniées à mesure qu'elles progressaient dans leurs recherches), car elles y apparaissent au contraire comme équilibrées et pleines de bon sens, et très sincèrement intriguées par leur étrange aventure de ce mois d'août 1901. Si on a pu les soupçonner d'avoir délibérément modifié leur récit en fonction des nouveaux éléments historiques qu'elles découvraient, on peut tout aussi bien supposer que seules les recherches effectuées les ont mises en mesure de réaliser pleinement ce qu'elles avaient vu...

Personne aujourd'hui ne peut savoir avec certitude ce qui s'est effectivement passé en ce 10 août 1901. Les deux femmes ont-elles vécu une sorte de « glissement temporel » ? S'agit-il de rétrocognition? Il est en tout cas certain que l'aspect le plus convaincant et le plus troublant de cette singulière expérience réside dans les modifications topographiques enregistrées par Miss Moberley et Miss Jourdain après leurs premières visites : elles ont parcouru des sentiers qui n'existaient plus depuis longtemps, et il semble qu'elles aient véritablement erré dans le Trianon du XVIIIème siècle.

Les Anglaises seraient-elles prédestinées à vivre semblables incursions dans le temps ? Ou bien le paysage français est-il particulièrement propice à ce genre de phénomène ?

La question de cette aventure survenue à Miss Moberley et Miss Jourdain se pose encore et toujours : en 1951, en effet, deux Anglaises vont connaître une expérience analogue aux environs de Dieppe, revivant cette fois le raid allié qui eut lieu en août 1942 ...

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Dans son Traité de Métapsychique (1922), Charles Richet (1850-1935), prix Nobel de Physiologie, nous donne un avis concernant cette « Affaire du Petit Trianon » :

« … Des faits analogues, et d'ailleurs n'ayant pour toute analyse scientifique que les légendes populaires (ce qui est peu), ont été signalés à Berbenno en Valteline, à Vô, en Italie (Padova), à Saint-Julien (Soissons), à Cardiganshire (pays de Galles), à Quargento (Piémont) et à Grand-Fougeray (Ille-et-Vilaine). On ne peut faire le moindre fonds sur ces récits. Il est bon toutefois de les signaler pour qu'à l'avenir, s'il s'en présente, ils fassent l'objet d'une méthodique et scrupuleuse investigation.

Voici un fait, étrange entre tous, et qu'il est aussi difficile d'adopter que de rejeter. Il est rapporté par Mme E. H. Sidgwick.

Deux dames, Mme F ... et sa sœur, aperçurent dans la rue, par un épais brouillard, des formes humaines très nombreuses qui passaient. Quelques-unes étaient des personnages de grande taille qui paraissaient entrer dans le corps d'une des deux sœurs. La domestique qui était avec les deux dames poussait des cris de terreur. Il y avait dans cette foule de fantômes, des hommes, des femmes, des chiens. Les femmes portaient de hauts bonnets, de grands châles, en costumes de l'ancien temps. Les figures de ces personnages étaient livides, cadavériques. Toute cette fantastique troupe accompagna Mme F ... et sa sœur pendant près de trois cents mètres. Parfois ils étaient comme éclairés par une sorte de lumière jaune. Quand Mme F ..., sa sœur, et la domestique arrivèrent à la maison, il n'y avait plus, de tout le cortège qu'un seul individu, hideux, plus grand que les autres. Il disparut alors.

Cette hallucination est unique en son genre; on ne peut donc rien en retenir. Et pourtant, elle a été collective et simultanée. Il est bien difficile de voir dans cette description si précise, un effet de brouillard.

Ajoutons à cette singulière histoire le récit, insuffisamment documenté, d'une sorte d'hallucination analogue chez deux dames qui à Trianon, près du parc de Versailles, ont cru voir toute une réunion de personnages habillés comme en 1785, au temps de Marie-Antoinette. Mais on a peine à croire que ce n'est pas une très prolongée hallucination. Les somnambules, pendant la période hypnotique, en pourraient raconter bien d'autres.

Il ne faut pas inscrire de pareils faits dans les annales de la métapsychique.

Comme pour tout ce qui est isolé, exceptionnel, attendons, sans chercher à expliquer ni à comprendre, et provisoirement considérons ces allégations comme non avenues ».

D’autre part, Albert Einstein ayant eu vent de cette histoire, déclara sur un ton dubitatif :

« Les deux miss ont trébuché dans l’escalier du temps ».  

 

ASTRAL 2000 - Gérard - Janvier 2017

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