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LE FANTÔME DE COCK LANE

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Chapitre 2

LE POLTERGEIST DE LA RUELLE DU COQ

Le révérend John Moore était un adepte de John Wesley, réformateur religieux de cette époque, qui se passionnait pour le surnaturel. La demeure familiale de celui-ci avait d'ailleurs été troublée en 1715 par un «esprit frappeur», et son père, le révérend Samuel Wesley, était entré en communication avec ledit esprit en frappant à son tour, comme le font encore les médiums. Moore et  Parsons persuadé que les phénomènes de la ruelle du Coq étaient maintenant dus au fantôme de la récente morte, Fanny Kent, commençèrent à mettre sur pied des séances, avec un code simplifié : un coup pour oui, deux pour non, ceci dans le but de découvrir les désirs de l'Esprit qui, peu à peu, se focalisait sur la personne de la petite Elizabeth Parsons, la fille aînée du propriétaire de la maison, âgée de onze ans.

Cock Lane (ruelle du Coq) aujourd’hui

Et c'est ainsi que les séances les plus réussies eurent lieu dans la chambre à coucher de la jeune Elizabeth, tandis que celle-ci était dans son lit. Les coups venaient tantôt du plancher, tantôt du lit, tantôt des murs. Les rares fois où l'esprit semblait satisfait, on entendait un bruit rappelant un battement d'ailes. Au contraire, quand il n'était pas content, on percevait un bruit semblable à des griffes d'un chat grattant une chaise cannée. Désormais, on le désigna sous le nom de « Fanny la Gratteuse». Ainsi, cette dénomination est restée dans l'histoire des phénomènes surnaturels : c'était, ni plus ni moins, un poltergeist en liaison avec une fillette proche de la puberté, phénomène fort courant mais encore inexpliqué !

Subitement, le message devint agressif : Fanny réclamait justice. William l'avait assassinée en empoisonnant sa bière à l'absinthe (boisson alors à la mode comme fortifiant), environ deux heures avant qu'elle mourût.

William qui se remettait doucement de son veuvage, s'était établi agent de change dans la Cité. C'est à peine un an après la mort de sa femme, en janvier 1761, qu'il entendit parler, par une série d'articles publiés dans une feuille de nouvelles, de la légende naissante de la ruelle du Coq qui faisait de lui l’assassin de la jeune femme.

Effrayé par cette accusation, il s'adressa au révérend Moore. Celui-ci lui répondit qu' « il y avait des bruits étranges de coups et de grattements, toutes les nuits, et qu'il y avait derrière quelque chose de plus noir que tout le reste».

A la suite de leur rencontre, Kent vint assister lui-même à une séance dans la ruelle du Coq. Horrifié, il entendit les coups l'accuser personnellement d'avoir tué Fanny avec de l'arsenic, et quand il demanda sur le conseil de Moore s'il serait pendu, un seul coup se fit entendre, autrement dit : oui !

«Tu es un esprit menteur, cria-t-il. Tu n'es pas l'esprit de ma Fanny. Elle n'aurait jamais dit une telle chose! »

«Fanny la Gratteuse» devint à ce moment-là l'objet d'un énorme intérêt pour le public. Des foules, venues à pied et en voiture, s'attroupaient dans la ruelle pour guetter les allées et venues autour de la maison hantée. Toute l'année, les séances se poursuivirent ...

Une expérience fut tentée : Elizabeth Parsons fut emmenée chez quelqu'un d'autre ... et les coups l'accompagnèrent : c'était bien elle qui les provoquait. Méfiants, les organisateurs de cette expérience, firent mieux : des femmes furent chargées de tenir les mains et les pieds de la petite fille pour éviter toute fraude, ce qui n'empêcha pas les bruits de se produire.

Le médecin et le pharmacien de Kent s'inscrivirent en faux contre l'accusation d'empoisonnement. La servante « Carotte » fut aussi mêlée à l'affaire, et elle cria son indignation à l'Esprit. D'autre part, la petite Elizabeth fut atteinte d'épilepsie. Elle prétendait avoir vu le fantôme « dans un linceul et sans mains ... »

Kent voulait tirer les choses au clair. Convaincu que le fantôme disait la vérité, Moore était impatient de voir la justice prendre en main l'affaire. Le seul personnage dans la Cité de Londres ayant ce pouvoir était le Lord-Maire; mais se souvenant de l'affaire Canning qui remontait à moins de dix ans, il refusa tout net et se borna à réclamer une enquête. Une commission fut donc constituée, et des enquêteurs furent nommés : le docteur John Douglas qui avait déjà dévoilé un certain nombre de fraudes, une sage-femme d'hôpital, un médecin, deux ou trois gentilshommes et le docteur Samuel Johnson, écrivain fort connu, qui se passionnait pour les apparitions surnaturelles.

Samuel Johnson

L'enquête commença donc par une épreuve à laquelle fut soumise la petite Elizabeth chez le révérend Stephen Aldrich, le curé de Saint-Jean à Clerkenwell.

Au matin du 1er février 1762, selon le rapport du docteur Johnson, Elizabeth qui a couché chez Aldrich et qui avait été veillée par la sage-femme et d'autres femmes, signala qu' «elle sentait l'Esprit comme une souris sur son dos, mais aucune preuve d'une quelconque puissance surnaturelle ne se manifesta».

RAPPORT D’ENQUÊTE DE SAMUEL JOHNSON

Résultats de la séance de spiritisme, tenue le 1er février 1762

« Dans la nuit du 1er février, nombre de gentlemen distingués par leur rang et leur intégrité se sont réunis, à l’invitation du révérend M. Aldrich, à Clerkenwell, à son domicile, afin d’examiner les bruits prétendument provoqués par un esprit défunt, pour découvrir quelque crime grave. Vers dix heures du soir, les gentlemen se sont rencontrés dans la chambre dans laquelle la fillette, censée être dérangée par un esprit, a, avec les précautions convenables, été mise au lit par plusieurs femmes. Ils sont restés assis une bonne heure, et, n’ayant rien entendu, sont descendus interroger le père de la fille, qui a nié, dans les termes les plus marqués, avoir connaissance ou conviction d’une imposture. Le soi-disant esprit avait auparavant promis publiquement, par un coup affirmatif, qu’il suivrait l’un des gentlemen dans la crypte sous l’église Saint John de Clerkenwell, où repose la dépouille, et qu’il y donnerait un signe de sa présence, par un coup sur son cercueil ; il a donc été décidé d’en faire le moyen de vérifier l’existence ou la véracité de l’esprit. Alors qu’ils étaient en train de poser des questions et de délibérer, quelques dames qui étaient près de son lit, et qui avaient entendu des coups et des frottements, les ont appelés dans la chambre de la fillette. Quand les gentlemen sont entrés, la fillette a déclaré qu’elle ressentait l’esprit comme une souris dans son dos, et on lui a demandé de lever les mains en dehors de son lit. À partir de ce moment, bien que l’esprit ait été très solennellement invité à manifester son existence en dévoilant son apparence, par impression sur la main ou le corps de n’importe quel invité, par des frottements, des coups, ou n’importe quel autre signe de sa part, aucune manifestation de pouvoir surnaturel n’a eu lieu. L’esprit a alors été très sérieusement averti que la personne à qui la promesse avait été faite de frapper sur le cercueil était sur le point de se rendre à la chapelle, et que la promesse devait être tenue. À une heure du matin, le groupe s’est rendu à l’église, et le gentilhomme à qui la promesse avait été faite est descendu avec un autre dans le caveau. On a solennellement demandé à l’esprit de tenir sa promesse, mais seul le silence leur a répondu : la personne censée être accusée par le fantôme est descendue à son tour, mais aucun son ne s’est fait entendre. Ils s’en sont alors retournés examiner la fillette, mais n’ont pu obtenir aucune confession de sa part. Entre deux et trois heures du matin, elle a reçu, à sa demande, l’autorisation de rentrer chez son père. Par suite, l’opinion de l’assemblée, à l’unanimité, a été que l’enfant avait le don de faire ou de contrefaire des bruits particuliers, et qu’il n’y avait aucune raison de soupçonner l’intervention d’une entité supérieure».

Sources : James Boswell et Edmond Malone, The life of Samuel Johnson : Second, Printed by Henry Baldwin, for Charles Dilly, in the Poultry, 1791

 

En bref, la commission gagna l'église, pénétra sous la crypte et somma l'Esprit de tenir sa promesse en frappant le cercueil, promesse qui avait été faite dans une séance préliminaire. Mais rien d'autre ne s'ensuivit que le silence le plus complet. On conclut donc à la fraude pure et simple. On organisa encore une ou deux autres séances, mais l'affaire tirait à sa fin, et il fut signifié à la petite Parsons qu'elle n'avait plus qu'une nuit, le 21 février, pour prouver son innocence, autrement, son père, sa mère et elle-même iraient tous à la prison de Newgate !

La séance finale eut lieu chez un certain Missiter, dans le quartier de Covent Garden, et, cette fois, il y eut des résultats positifs, mais peu convaincants : l'enfant qui était couchée fut surprise en train de se glisser hors du lit pour ramasser un morceau de bois avec lequel elle cognait ensuite sur un côté du lit ; les assistants admirent que les sons étaient différents des précédents : On en conclut qu'Elizabeth avait agi ainsi sous l'emprise de la terreur d'être emprisonnée.

Ces événements tournaient en faveur de Kent. Les écrivains s'en mêlèrent. Un pamphlet d'Olivier Goldsmith et un poème de Charles Churchill plaidèrent pour son innocence. Jusqu'au célèbre acteur David Garrick qui créa, au théâtre de Drury Lane, une comédie sur le thème de « Fanny la Gratteuse » ! …

Enfin, le 10 juillet, l'épilogue de cette affaire vint devant un tribunal : les « conspirateurs», c'est-à-dire John Moore et le couple Parsons, y faisaient figure d'accusés. Après toute une journée de procès, ils furent déclarés coupables d'avoir voulu faire condamner à mort William Kent, en l'accusant faussement d'avoir empoisonné Françoise Lynes. Moore fut condamné à une lourde amende, Parsons à deux ans de prison et trois séances de pilori, et sa femme à une année de prison.

Elizabeth ne fut plus jamais hantée par son « fantôme ».

 

ASTRAL 2000 - Gérard - Septembre 2016

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