Présence de l'invisible

Mots-Clés :poltergeist,Maroc,téléportation,dématérialisation,télékinésie,re-matérialisation

« L'incident » suivant, qui remonte à 1944, eut lieu dans une petite ville  proche de la frontière séparant l’Algérie et le Maroc. Aux abords de cette ville, des chalets  confortables avaient été construits, formant un village où vivaient les familles des  militaires, les uns au combat, les autres en permission. Mme Dupont (respectons l’anonymat), épouse d'un officier et sa fille Marthe, âgée de 18 ans,  occupent l'un de ces chalets.

Vers 19 h, toutes deux s'affairent à préparer le dîner  dans l'attente de leurs invités : un officier (baptisons-le Garcin) et son épouse.  Le rôti au four, Mme Dupont conseille à Marthe d'aller s'habiller pour le  dîner. La jeune fille grimpe au premier étage et, bientôt, sa mère l'entend bougonner car elle ne parvient pas à trouver sa jupe à carreaux. Après une réflexion sur son étourderie, Mme Dupont rappelle à Marthe que la jupe est toujours à sa place habituelle, dans l'armoire, sur la plus haute étagère de gauche. Et  la jeune fille de protester : c'est bien là, effectivement, qu'elle a cherché, mais la  jupe ne s'y trouve pas. Marthe se résout donc à mettre une  robe et se rend à la salle de bain pour donner une dernière touche à son maquillage.  Sa mère lui rappelant l'heure tardive, Marthe, dans sa hâte, fait tomber son  tube de rouge à lèvres qui roule sous la baignoire. La jeune fille se baisse, le ramasse et aperçoit alors, sous la baignoire, sa jupe à carreaux ! Mais dans quel  état : roulée en boule, déchirée, lacérée, en lambeaux ! Aux cris indignés de sa fille, Mme Dupont monte la rejoindre et constate les  faits, médusée. Toutes deux se regardent ; la stupeur a fait place à l'angoisse car  cet incident n'est pas le premier du genre. Depuis un certain temps déjà, des  vêtements disparaissent, que l'on finit par retrouver dans des endroits invraisemblables et invariablement en charpie, découpés, tailladés ! Qui peut bien être le  coupable ? Toutes deux vivent seules dans ce chalet, avec leur jeune bonne, une très brave dame parfaitement incapable  de commettre de tels méfaits. 

Une autre fois, c'est une porte fermée qui s'ouvre toute seule, sous les yeux  ahuris de la mère et de la fille. Là encore, la bonne n'y est pour rien dans ces manifestations.  Mais revenons à ce soir-là, au moment où le capitaine Garcin et son épouse  viennent d'arriver. A cette dernière, Mme Dupont a fait récemment ses confidences relatives aux phénomènes inexplicables qui se produisent sous son toit.  Mme Garcin en a été impressionnée mais son mari, rationaliste et «gardant les  pieds sur terre», s'est borné à hausser les épaules quand sa femme lui a rapporté les dires de son amie.  Les nouveaux venus sont accueillis par leurs hôtesses et le capitaine accroche son képi à la patère, à droite de l'entrée. Marthe les invite à pénétrer dans  le living mais, soudain, son visage exprime la frayeur et elle ne peut retenir un cri.  Suivant son regard, l'officier tourne vivement la tête et se fige dans un sursaut : le  képi qu'il vient à l'instant de poser sur la patère « s'est envolé en voltige vers la terrasse ! » Interloqué, l'officier court après son képi et le récupère, d'autant plus  sidéré qu'il n'y a pas un souffle de vent et pas davantage de courant d'air, dans ce  chalet ! 

Très impressionné par ce phénomène qui ne cadre guère avec ses concepts  positifs, il observe tour à tour Mme Dupont et sa fille, s'interrogeant : se pourrait-il qu'il y eût quelque vérité dans les histoires « invraisemblables » qu'elles  ont rapportées à sa femme ?

Comprenant la signification de son attitude, l'hôtesse croit devoir déclarer : « C'est comme cela depuis des mois, capitaine. Des chapeaux s'envolent,  des vêtements disparaissent et nous les retrouvons lacérés, découpés comme  avec un rasoir, inutilisables ! Les portes, parfois, s'ouvrent toutes seules en grinçant ; les poignées tournent, saisies par des mains... invisibles ! ». 

Laissant à Marthe le soin de servir l'anisette, Mme Dupont retourne à ses  fourneaux et, peu après, ses hôtes l'entendent pousser un cri. Inquiets, tous se  précipitent et trouvent Mme Dupont hébétée, l'index pointé vers la terrasse de la  cuisine : là, sur le sol, ils aperçoivent le plat du rôti mais ne comprennent pas la  raison de ce cri de frayeur. 

« Mais regardez donc sur la terrasse, capitaine ! » insiste Mme Dupont, très  pâle. 

«  C'est ce que je fais, chère amie, mais je ne vois rien d'autre que ce plat que  vous avez, je ne sais pourquoi, déposé sur le sol. »

« Ce plat, capitaine, je ne l'ai jamais sorti du four ! Il y a une minute, j'ai  entendu un léger bruit, bizarre, indéfinissable. Je me suis retournée et j'ai vu  alors ce plat voltiger dans la cuisine et aller se poser là où il se trouve à présent ! » 

Interloqués, tous gagnent la terrasse et font alors une constatation non  moins ahurissante : le rôti est à demi dévoré ! Devant l'expression dubitative du  capitaine Garcin, Mme Dupont s'empresse de préciser : « C'est d'autant plus inexplicable que le rôti n'a pas été sorti du plat ! Voyez : pas une goutte de sauce n'est répandue sur le sol. Au reste, il est encore brûlant.  Il n'y a pas de chat, pas de chien ici, et les singes qui font du tapage, dans les  cèdres du parc, n'ont pas abandonné leurs branches. Personne n'a donc pu  approcher ce rôti ; néanmoins, des crocs l'ont déchiqueté ! Quelqu'un l'a à moitié dévoré. Mais quelqu'un d'invisible, aussi farfelu que cela puisse paraître ! » 

Devant le caractère démentiel de cet incident, Mme Dupont fit appel au commissaire de police qui, ami de son époux, s'empressa de se présenter chez elle.  Les Garcin confirmèrent les dires de leur hôtesse. Sceptique, le commissaire  invoqua la possibilité d'une farce, d'un mauvais plaisant cherchant sans doute à  s'amuser à ses dépens. Mme Dupont s'insurgea contre cette hypothèse, ce à quoi le policier répondit : « Comme je ne crois guère, et même pas du tout, aux fantômes, affamés ou non, je vais vous demander de refaire, dans un moment, l'expérience devant moi. Avez-vous un morceau de viande que vous puissiez mettre au four ? », « Oui ». Un gigot paré est dans le réfrigérateur, en prévision du déjeuner du  lendemain. Le commissaire prie alors Mme Dupont de l'attendre un moment et il  revient muni d'une sacoche. Sur son ordre, le plat du gigot est mis au four et  Mme Dupont allume la rampe du brûleur à gaz. Cela fait, contrôlé, le commissaire ferme lui-même la porte de la cuisinière et appose sur celle-ci des scellés.  Après quoi, tout le monde attend en bavardant dans la cuisine. Le policier plaisante sur le prétendu fantôme pique-assiette qui, il n'en doute point, n'aura pas  l'impudence de récidiver sous son nez. D'ailleurs, tous les témoins de l'expérience gardent les yeux sur la porte du four et ses scellés.  Trois quarts d'heure s'écoulent et Mme Dupont remarque, inquiète :

« Est-ce que vous sentez quelque chose, commissaire ? » 

« Rien du tout. Mme Dupont. Les fantômes auraient-ils une odeur ? » rit-il. 

« Je l'ignore. En tout cas, nous devrions commencer à sentir le fumet du  gigot en train de rôtir. Or, nous ne sentons rien ! » 

Le policier fronce les sourcils : de fait, il ne perçoit aucune odeur de cuisson  dans la cuisine, et tous commencent à se poser des questions, mal à l'aise. 

« C'est ridicule ! » grommelle le commissaire.

« Nous n'avons pas quitté des  yeux la porte du four et, vous le constatez avec moi, les scellés n'ont pas bougé ». 

« D'accord », admet le capitaine Garcin.

« Mais vous pourriez tout de même  ôter les scellés et jeter un coup d'œil dans le four, afin de savoir pourquoi le  gigot ne cuit pas ? » 

A contrecœur, le policier arrache les scellés et les témoins poussent alors  une exclamation d'incrédulité : le four est vide ! Lentement, avec une appréhension bien compréhensible, les têtes se tournent vers la terrasse. Marthe, elle, se précipite et reste clouée sur le pas de la porte : là, sur la terrasse, trône le plat  du gigot ! Cru, mais à demi dévoré !

« Alors, commissaire ? » questionne Mme Dupont, « Vous avez vu, constaté  avec nous ce phénomène extraordinaire. Comment un mauvais plaisant aurait-il  pu, sous nos yeux, retirer ce plat du four sans briser les scellés de la porte ? »

« Tout cela dépasse mon entendement », avoue-t-il. « J'ai l'habitude d'arrêter  les malfaiteurs... mais pas ce genre de manifestations surnaturelles ! Si vous êtes  croyante, je ne vois qu'une possibilité sans garantie, d'ailleurs : adressez-vous  à un prêtre exorciste ! » 

Excédée par ces manifestations intempestives, Mme Dupont dut se résoudre  à suivre ce conseil. Ce ne fut point un prêtre qui répondit à son appel mais  l'évêque en personne, accompagné d'un père franciscain, ami de la famille Dupont. Sitôt sur le seuil de la maison « hantée », « l'évêque reçut en pleine figure une volée de pommes de terre venues Dieu (ou le diable) sait d'où ! ».

Naturellement, il  est facile de rire d'une situation aussi cocasse, mais cela ne change rien à la véracité de ces phénomènes, lesquels cessèrent après la séance d'exorcisme. 

Toutefois, comment expliquer  cette étrange manipulation de l'espace et du temps, mais aussi de la matière, que  constitue ce tour de force : retirer d'un four clos par des scellés un plat et le « téléporter » au-dehors sans briser ces scellés ? Télékinésie, dématérialisation et re-matérialisation ? Sont-ce là des facéties imputables à un être vivant dans un univers  parallèle, pour lequel la matière de notre univers n'offrirait pas plus de consistance qu'un nuage ténu de fumée ? Mais en ce cas, comment un tel être pourrait-il saisir entre ses mains « un objet immatériel pour lui et matériel pour nous ? » 

Répondre à cette question serait, peut-être aussi, répondre aux innombrables  questions que soulèvent les phénomènes de hantise, les apparitions de fantômes, les cas de poltergeist, les déplacements d'objets et les portes qui s'ouvrent toutes seules !

 

Astral 2000 - Gérard -Mai 2018

 

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