Le poltergeist de Joller (CH)
Mots-Clés : poltergeist,Suisse,Joller,
Dans les années 1850, Melchior Joller, avocat, est un des membres dirigeants du Conseiller National de Suisse (la chambre basse du Parlement fédéral). Il fonde un journal libéral et œuvre à l'abolition de la peine de mort dans le canton. De caractère méthodique et obstiné, c'est un rationaliste luttant contre toute superstition.
En 1860, il vit à Stans, chef-lieu du demi-canton de Nidwald (Suisse), dans une grande maison non loin du Lac Lucerne (à 30 km), avec sa femme Caroline, leurs quatre fils Robert, Edward, Oscar et Alfred, et leurs trois filles Emaline, Mélanie et Henrika, ainsi que leurs domestiques.
La famille Joller
A l'automne, une des bonnes raconte avoir entendu la nuit des coups sur les bois de son lit. Quelques semaines plus tard, la femme de Joller et sa fille, partageant la même chambre à coucher, sont réveillées par des bruits de coups. A cette époque, Joller ne prête pas trop attention à ces histoires.
Près d'un an passe sans autre manifestation, jusqu'en juin 1861, où Oscar, l'un des fils des Joller, n'est pas présent au souper. On le cherche dans la maison, et finit par le trouver inconscient dans la remise à bois. Revenu à lui, il raconte à sa famille qu'il était en train de chercher l'origine de coups qu'il avait entendus, quand soudain la porte derrière lui s'était ouverte, et qu'une forme blanchâtre était entrée. Dans les jours qui suivent, les autres enfants disent aussi entendre des coups. Henrika raconte qu'un petit enfant lui est apparu.
A l'automne qui suit, une autre bonne déclare avoir vu des formes grises et qu'une nuit quelqu'un avait monté l'escalier dans la maison, était passé dans le salon à l'étage, et avait marché juste après elle. La même bonne déclara avoir entendu appeler son nom plusieurs fois. Une fois alors qu'elle était dans le salon, elle entendit des pleurs très perturbants. Joller ne prêta pas ou peu attention à cette bonne. La considérant superstitieuse, il la renvoie, et engage à sa place une fille de 13 ans.
Les choses se calment, jusqu'à l'été 1862. Le 15 août, Joller, sa femme et son fils Robert se rendent à Lucerne à 7 h du matin, laissant les autres membres de la famille et la jeune servante à la maison. Henrika entend des bruits de coups secs et en avertit Mélanie (alors 14 ans) et la servante. Elle court alors voir dans le couloir d'où elle suppose que les bruits proviennent, et crie « Au nom de Dieu, s'il y a quelque chose, qu'il vienne et frappe ». Comme une réponse à sa demande, des bruits de coups se font entendre. Oscar arrive alors, on lui raconte ce qui s'est passé. Il crie à son tour la même chose que sa sœur mais cette fois-ci aucune réponse n'arrive. Edward essaie à son tour. Tous prennent peur, et fuient la maison. Alors qu'ils sont assis dehors sur les marches de pierre froide, une pierre de la taille du poing tombe entre Mélanie et Alfred. Arrive le moment du déjeuner, et ils décident de retourner dans la maison. A l'intérieur, ils trouvent les portes de toutes les pièces ouvertes. Ils les referment, les verrouillant chaque fois que possible. Mais elles sont rouvertes à nouveau, y compris celles verrouillées. Les enfants entendent alors le son de pas lourds, et fuient la maison une nouvelle fois. Alors que la jeune servante jette un œil en arrière à ce moment, elle dit avoir vu une forme, comme une feuille de papier pendue par un coin, venir vers elle. Lorsqu'elle crie, la figure disparaît. Les enfants finissent, en définitive, par se réfugier dans une grange où travaillent des ouvriers. Ils font quelques recherches près de la maison afin de voir ce qu'il se passe.
Ainsi interviennent des sons, des objets en mouvement, et une voix parlant de manière très mélancolique, même si personne n'est autour (sic). On voit une tête de mort se former sur le sol (comme si on l'avait esquissée), mais elle disparaît rapidement. Plus tard dans la soirée, on voit une lumière descendre de la cheminée. Lorsque la bonne regarde en haut pour voir de quoi il s'agit, elle voit un objet ayant d'innombrables petites flammes bleues qui explosa au plus profond de la cheminée et qu'elle éteignit avec de l'eau.
Joller (jeune)
De façon surprenante, à cette époque, Joller lui-même ne croit toujours pas à ces histoires qu'on lui raconte. C'est le mardi 19 août qu'il va lui-même entendre des coups secs, semblant répéter les coups qu'il produit volontairement pour voir. Il promet alors à sa famille que ces événements vont faire l'objet d'une enquête. Les jours suivants, Joller voit la porte entre la chambre à coucher et la cuisine se tordre lorsqu'il entend à nouveau les bruits frappés. Il soulève le verrou de la porte et celle-ci s’ouvre violemment, lui faisant voir une forme sombre mais qu'il ne peut exactement déterminer, qui part rapidement vers la cheminée. Joller va l'examiner mais ne trouve rien.
Le jour suivant Joller voit les portes frapper et s'ouvrir avec une grande force « aussi puissante que ce qu'un maillet de bois pourrait faire lorsqu'il est balancé avec toute la force d'un bras puissant ».
L'affaire devient le sujet des discussions locales, et d'autres personnes déclarent maintenant entendre aussi les bruits. Suite à une telle ampleur publique, une "commission tripartite" est nommée pour enquêter. Les Joller déménagent pour quelques jours (moins d'une semaine), et aucun phénomène n'est constaté dans la maison pendant cette période. On trouve trace des conclusions de cette commission dans des archives publiques (les conclusions détaillées ayant été rendues oralement à l'époque). En fait, il semble probable que les membres de la commission n'aient pas habité la maison durant cette enquête, mais aient plutôt demandé à un gendarme (ou plutôt un garde-champêtre) de le faire, ou de passer de temps en temps dans la maison. Une démarche qui, s'il elle était avérée, paraît peu probante.
De retour dans son habitation, Joller découvre dans la cuisine que des bouteilles, des verres et d'autres récipients qui ont été attaqués, portant la trace de heurts provoqués par un instrument de métal. Des bruits proviennent aussi de différents endroits de la maison en une succession si rapide qu'il faudrait 4 ou 5 personnes pour les produire.
La nuit du 23 août dans une chambre à coucher du 1er étage, Joller, sa femme et une servante se sentent tous touchés à la tête, comme par une main. Joller et sa femme cherchent à attraper la main et la sentent chaude et petite comme celle d'un enfant.
Le 16 septembre, Joller voit une pomme reinette descendre les escaliers, rouler dans le couloir et dans la cuisine. Alors qu'on la récupère et la pose sur la table, elle part à nouveau dans le couloir. La servante la jette alors par la fenêtre, un instant plus tard elle revient comme rejettée sur la table de la cuisine.
Le poltergeist de Joller (En allemand)
Le 6 octobre, cinq personnes déclarent avoir vu une figure à quatre reprises. Elle est décrite comme une femme mélancolique avec une tête "cintrée", semblable à celle que Mélanie a décriet le 10 septembre.
C'est ce mois d’octobre que Joller et sa famille décident finalement de quitter la maison pour Zürich. Durant ce qu'il nomme la "nuit de la révélation", ses cheveux blanchissent entièrement. Le lendemain, il déclare à son entourage médusé : "J'ai tout compris !". En 1863, à Rome, Joller publie « Phénomènes mystiques vécus », reprenant ses notes.
Emaline, contactée dans les années 1930, dira que les phénomènes ne les avaient pas suivis dans leur nouvelle demeure. Elle racontera comment son père mourut en 1865 à Rome, contraint à vivre en exil dans la pauvreté après avoir été ridiculisé et attaqué aussi bien par sa famille que ses amis de Suisse.
En 2003, un documentaire est réalisé sur le sujet par une équipe allemande. Arrivés sur le terrain et apprenant que la maison doit être détruite, ils convainquent le propriétaire de leur laisser une semaine pour réaliser leur reportage. Ayant obtenu l'accord, ils investissent la maison pour une semaine.
L'équipe commence par poser des caméras infrarouges et classiques à des endroits stratégiques de la maison. Elle va vivre des événements mineurs qui, cependant, la perturberont :
- pour une séquence, ils font ouvrir une porte toute seule par leurs propres moyens, puis font un travelling vers l'équipe, quand soudain la porte qui était restée ouverte se referme. L'équipe rit nerveusement.
- un des membres de l'équipe sort un moment par la porte d'entrée, puis après quelques instants s'apprête à rentrer, quand il s'aperçoit que la porte est fermée. Il appelle sa collègue à l'intérieur qui vient lui ouvrir : la porte était fermée à clé, et personne ne voit qui aurait tourné la clé dans la serrure.
- un preneur de son enregistre le vent sur la colline quand il voit un groupe de gens - juste en silhouettes sombres - avec des lumières venir vers lui. Ces personnes ne l'ont peut-être pas vu car elles s'affairent à 200 m de lui. Le preneur de son part pour le moins effrayé, tout en supposant que ces gens étaient là pour une raison tout à fait normale (ouvriers, etc.)
- on entend deux coups secs entendus une nuit à 2 h 29. Le lendemain matin, en revoyant les bandes des caméras à cette heure-là, ils voient effectivement sur un des films l'un des deux battants d'une porte s'ouvrir (et rester ouvert).
L'équipe donnera la parole à des "experts" invités à la maison :
- un expert en bâtiment (sic) qui présente l'explication d'une supercherie, où le second locataire (la maison aurait été sous-louée par le propriétaire) pénètrerait chez Joller pour faire ces bruits et l'effrayer. Il parle d'un panneau de bois au niveau des toilettes qui permettait de passer assez facilement de chez l'un à chez l'autre. Cet "expert" envisage également (hypothèse complètement différente) que Joller ait réalisé ces manifestations (bruits, déplacements d'objets) lui-même, voire avec la complicité d'un de ses fils, mais le mobil n'est pas évident (il n'y en a rien retiré concrètement, plutôt des problèmes même).
- un spécialiste du paranormal "neutre" qui argue d'une méthode plus " scientifique" en reliant les faits à une explication. Il met notamment en avant l'hypothèse du "stress", souvent associé à l'apparition de poltergeists. Ce stress pourrait avoir été le fait de Joller, alors en difficulté financière.
- une médium qui visite la maison seule et rapportera avoir entendu (comme c'est généralement le cas d'après elle) une vingtaine de voix parlant en même temps (donc difficilement compréhensibles). A la question "en suisse-allemand ?" elle répond « D'habitude se sont des langues différentes, mais là oui, c'est en suisse-allemand. » Elle décrira également le portrait de la grand-mère de Melchior, qui n'est alors pas connue.
Une medium suisse dans la maison hantée de Melchior Joller
- un illusionniste qui dira qu'il est assez facile d'impressionner les gens et de leur faire croire des choses apparemment incroyables, mais qui avouera ne pas savoir comment tout reproduire (les pierres qui tombent de la cheminée sur les enfants sans les blesser) et que le travail pour reproduire l'ensemble des phénomènes serait colossal (1 an de préparation, un budget énorme par rapport au bénéfice nul qu'a eu Melchior).
Le plus intéressant et le plus frustrant réside dans la fin du reportage, où l'on apprend que Melchior, après son départ de la maison pour Rome, aurait eu une révélation (ses cheveux devenant blancs en un jour) et écrit un autre livre donnant l'explication de ces phénomènes. Le livre porterait une inscription en latin ordonnant que l'ouvrage reste dans la famille de Joller. L'équipe finit par en retrouver la trace dans la famille de Joller à Rome, où elle retrouve accroché le portrait de la grand-mère de Melchior.
Le film se conclut sur l'hypothèse (appuyée par la famille de Joller) que les phénomènes pourraient être le fait de la grand-mère de Melchior (alors défunte et supposément esprit frappeur à l'époque des faits), qui aurait voulu donner une leçon à un petit-fils trop rationnel à son goût. La famille promet de montrer le second livre à l'équipe de tournage mais demande deux mois de délai pour "mettre leurs affaires en ordre". Le film se termine ainsi, sans savoir le fin mot de l'affaire.
Épilogue
Entre temps, ses héritiers découvriront des textes hallucinants dans un vieux carnet défraîchi, où le bonhomme explique être entré en contact avec sa grand-mère. D'ailleurs, l'apparition des cheveux blancs est la conséquence directe d'une première rencontre.
Il écrit dans ce livre testament que la première rencontre avec sa grand-mère aura eu pour conséquence, après une brève nuit de sommeil, un blanchiment aussi rapide qu'inexplicable de sa chevelure.
En poursuivant la lecture de ce journal un peu particulier, on y apprend que sa grand-mère lui aurait fait ces frayeurs pour qu'il se départe de son esprit trop cartésien. Elle espérait ainsi mettre un peu de gaieté dans cette existence un rien tristounette. Jamais elle n'aurait imaginé les conséquences de ses actes, ayant décidé d'hanter la maison...
Sans doute n'imaginait-elle pas non plus que les lieux resteraient vides durant des années. Pour preuve, après que de nouveaux '’locataires'’ aient fui la maison, ne supportant plus les questions des badauds, par définition curieux, sur des événements n'ayant plus jamais lieu, la maison de Stans est restée lieu de pèlerinage jusqu'en 2010.
C'est cette année-là que le nouvel élu local a décidé de faire raser la maison, espérant de la sorte que ce tourisme étrange cesse. Il faudra s'y reprendre à trois fois avant que la bâtisse ne s'effondre sous le coup des bulldozers.
Légende urbaine ou pas, certains ouvriers ont affirmé après coup avoir entendu comme un rire de vieille dame.
Références
Light of the Beyond or a Selection of Flowers from the Garden of Spiritism. A Journal for Spiritist Science and Doctrine par Constantin Delhez (in vol. 2, 1867: 175 – 189, 205 – 220, and 240 – 253).
Das Spukhaus documentaire allemand de Volker Anding (ZDF 2003) diffusé en français sous le titre La maison hantée sur Arte
Astral 2000 - Gérard - Février 2018