Le cercueil maudit de Horitz 2

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Fcendeux1Deux années s'écoulent et les Horitz, enchantés de leur première tournée, décident de parcourir à nouveau les villages où ils s'étaient déjà produits. Accueil chaleureux. On retrouve les anciens amis ou plus exactement les anciennes connaissances, l'on bavarde devant un pot à la terrasse du « Café du commerce » et le premier soir de cette seconde tournée, l'un des villageois déclare :

- Oh ! A propos, M. Horitz, vous savez, Louis ? Le jeune qui s'était couché dans votre cercueil magique ? Eh ben, il est mort.

L'on s'apitoie un moment sur ce pauvre garçon et l'on parle d'autre chose. Non, cette année, plus de cercueil magique car il faut varier le spectacle: maintenant, le clou de la soirée est la décapitation de Margot à la hache. Et l'on rit, l'on plaisante, en promettant bien de venir, le soir même, frissonner à cette exécution capitale !

- Alors, vous faites plus le coup du cercueil? s'étonne un villageois, déçu.

- Plus ici, en tout cas, sourit l'illusionniste. Nous le représenterons à notre troisième tournée, dans deux ou trois ans. Mais nous le présentons encore tout au long d'un itinéraire différent. Vous comprenez, il faut savoir doser les bonnes choses.

L'on rit et, trois jours durant, l'on applaudit à la décapitation de Margot. Puis c'est une autre étape, avec les retrouvailles habituelles des connaissances et, au gré des conversations, quelqu'un déclare :

- Vous vous souvenez de Jeannot, le jeune gars qui s'était couché dans votre cercueil? Il est mort d'un accident de moto.

Trois jours plus tard, nouvelle halte. Là aussi un villageois leur apprend le décès de Robert, le « volontaire » qui s'était étendu dans le cercueil magique. Les Horitz soupirent, navrés de ce malheur et, comme précédemment, l'on parle d'autre chose.

A la quatrième étape, M. et Mme Horitz se réjouissent à l'idée de retrouver le « petit Maurice », un garçon de vingt ans qui, passionné par leur spectacle, trois ans plus tôt, les avait suivis de bourgs en hameaux, à bicyclette, dans un rayon de trente kilomètres. Débarquant à nouveau dans son village, quel n'est pas le chagrin des Horitz en apprenant que le « petit Maurice » s'est noyé ! Maurice qui, bien entendu, avait été volontaire pour s'allonger dans le cercueil...

A partir de ce moment-là, les Horitz commencent à se poser des questions, à s'interroger sur ces coïncidences tragiques. Avec une certaine appréhension, au village, ce sont eux qui, cette fois, questionnent les habitants. Germain? Le « pôvre », il s'est tué dans un accident de voiture !

Autre village, autre mort du « volontaire », emporté par la typhoïde. Et d'étape en étape les Horitz, pétrifiés de stupeur, dénombrent ainsi une affolante cascade de morts ayant eu des causes multiples: accident, noyade, maladie.

Poursuivant son itinéraire et parvenu au Lavandou, où il devait apprendre le dixième décès, le magicien Horitz, consterné, prit alors la décision d'abandonner le tour du cercueil magique ... devenu le « cercueil maudit » ! Bien des fois (avant que ne fut découverte la « malédiction »), des confrères avaient proposé à l'illusionniste de lui acheter ce « tour », ce cercueil qui obtenait tant de succès. Invariablement, les Horitz avaient toujours refusé, trop heureux de conserver cette grande illusion, pour user du jargon de métier. Mais à présent, après cette dramatique série noire, il eût été malhonnête, sinon criminel, de vendre ce cercueil maléfique. Non, il fallait le mettre au rencart, dans l'entrepôt marseillais et ne plus y toucher !

- Ne crois-tu pas qu'il vaudrait mieux le ... brûler ?  hasarda Margot.

- Non. Pourquoi le brûler, le détruire? Il ne nous a pas porté malheur, à nous, et nous a permis, tout au contraire, de remporter un grand succès à chaque représentation. Non, nous allons le laisser dans l'entrepôt de notre ami Merval, rue Abbé de l'Epée.

Cet épisode, de l'abandon du cercueil maudit, se situe en 1936.

Et les années suivantes, l'objet maléfique demeura sous sa couche de poussière, dans un coin de l'entrepôt. En 1939, les Horitz reçoivent la visite de leur confrère et ami Klé-Ro qui, pestant et se lamentant, leur fait part de ses malheurs. Dans un accident de voiture, tout son matériel d'illusionniste vient d'être détruit. Comment va-t-il faire pour honorer le contrat signé à Salon-de-Provence, où il doit se produire samedi ? Klé-Ro supplie donc son ami Horitz de lui prêter le cercueil magique.

- Tu es fou ? s'indigne Horitz. Comment, tu as le culot de me demander ce cercueil maudit, toi qui sais pourtant ce qui est arrivé, au long de notre tournée ? Car tu es l'une des rares personnes à qui nous avons révélé cette macabre affaire. Non, il n'en est pas question. Je te prêterai mon matériel classique et ... 

- Mais ce ne sera pas suffisant, voyons ! Ce que je veux, c'est la « grosse illusion », pas le menu fretin de première partie ! Et puis, tu ne vas tout de même pas croire à cette histoire invraisemblable de morts en série ? Ce sont des coïncidences, pas autre chose. Comment veux-tu que le fait, pour un jeune, de s'allonger dans ce cercueil ait entraîné sa mort ... par noyade, par accident de moto ou à la suite d'une typhoïde ! C'est ridicule.

- Sans doute, convint Margot, mais tu ne peux nier que tous ces jeunes gens sont morts dans les mois qui ont suivi notre passage !

- C'est la fatalité, voilà tout !

Et Klé-Ro de supplier ses amis de lui venir en aide, de parler de ses dettes, de son devoir de « faire manger » Emile, le gamin de treize ans qui lui sert d'assistant.

Devant la détresse de ce confrère malheureux, Horitz se laissa convaincre de lui prêter le fameux cercueil, lequel, dormant depuis des années dans l'entrepôt, avait sans doute perdu son pouvoir maléfique. Klé-Ro l'emporta donc en bénissant son bienfaiteur et huit jours s'écoulèrent, Horitz n'y pensant plus, accaparé qu'il était par la préparation de nouvelles grandes illusions pour sa prochaine tournée.

Un soir, enfin, Klé-Ro fit irruption chez ses amis, en larmes, déchiré par le chagrin : Emile, le garçonnet qui lui servait d'assistant, s'était allongé dans le cercueil, lors de la représentation donnée à Salon. Il s'y était allongé une fois seulement et les jours qui suivirent, le malheureux gamin avait été emporté par une pneumonie !

Effondrés, Horitz et son épouse pleurèrent la mort de cet enfant, nouvelle victime innocente de ce cercueil maudit, resté à Salon après le drame.

- Klé-Ro, tu vas me faire le serment, sur la mémoire d'Emile, de brûler ce cercueil, de le réduire en cendres ! Il a assez fait de mal, jusqu'ici, je veux qu'il disparaisse !

- Je te le jure, Horitz ! Dès demain, je le brûlerai ...

Et c'est ainsi que fut annihilée, effacée, la sinistre malédiction qui s'était attachée à ce tour de magie : le cercueil de « la femme sciée en deux »

Mais comment cette vulgaire boîte, composée de planches neuves, fabriquée de toute pièce par Horitz, brave homme s'il en fût, put-elle entraîner ces morts en chaîne dans les Pyrénées Orientales, dans l'Aude, dans l'Hérault et en Provence? Il ne saurait être question, ici, de parler de magie noire, de « voult (1) » pratiqué par l'illusionniste qui ne s'adonnait qu'à des tours bien innocents ! Le cercueil n'ayant jamais servi qu'à Horitz et son épouse, il n'était pas davantage question de le supposer « chargé », imprégné d'effluves néfastes de la part d'un adepte de la magie incantatoire. Et la tragique répétition de ces décès ne peut non plus recevoir d'explication par les mots coïncidences, hasard ou fatalité.

(1) VOULT : « Figure de cire soumise à certains mauvais traitements, que la personne représentée par cette figure est censée subir elle-même » (Lar. 19e-Lar. Lang. fr.)

Astral 2000 – Gérard – Février 2020

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