LES LOUPS-GAROUS
- LYCANTHROPES ET LYCANTHROPIE -
Mots-Clés : Loup-garou, lycanthrope, lycanrhropie, paranthropologie, Pologne, France, Ardennes belges, Belgique, Allemagne, France, Italie, Amérique du Nord, Grande-Bretagne, Singapour, Dole, Bourg-la-Reine, Rome, Jacques Rollet, Jean Garnier, Peter Stump, Éliphas Lévi, Jean Grenier
Partie 1
Nous sommes en Pologne, vers le milieu du XIXème siècle, dans un petit village des bords de la Vistule. Jeunes et vieux, rassemblés sur la Grand-Place, fêtent la fin des moissons à grand renfort de chants et de danses. La récolte a été bonne, et le festin est abondant. La boisson coule à flots et chacun s'abandonne à la joie. Soudain, alors que les réjouissances battent leur plein, un hurlement terrifiant, propre à vous glacer le sang, retentit dans la vallée. Les danseurs s'immobilisent. Tous se précipitent, cherchant d'où peut provenir ce cri terrible. Ils voient alors un loup gigantesque emporter l'une des plus jolies filles du village, dont on vient de célébrer les fiançailles. Du fiancé, pas de trace ... Les plus courageux parmi les paysans se lancent à la poursuite du loup et tentent de lui faire lâcher prise. Mais le monstre, la gueule écumante de rage, dépose alors son fardeau humain et leur fait face, prêt à combattre. Quelques jeunes gens courent au village chercher des fusils et des haches. Pendant ce temps, le loup, voyant que ceux qui restaient devant lui sont trop effrayés pour bouger, se saisit à nouveau de sa proie et s'enfonce dans la forêt proche, où il disparaît.
Bien des années ont passé. Dans le même village, sur la même place, c'est encore la fête de la moisson. Un vieillard s'approche des convives, qui l'invitent à se joindre à eux et à participer aux réjouissances. Mais le vieil homme, sombre et taciturne, préfère s'asseoir à l'écart. Il boit en silence. C'est alors qu'un paysan âgé s'approche de lui et l'examine avec attention. Au bout d'un moment, il lui demande d'une voix étranglée par l'émotion : « Est-ce toi, Jean ?». Le vieil homme acquiesce en silence. Tous reconnaissent alors en lui le frère aîné du vieux villageois et le fiancé disparu depuis tant d'années. On fait cercle autour de lui et on attend le récit de ses aventures en frissonnant d'une étrange terreur. Il leur raconte alors comment il fut changé en loup par une sorcière et comment, voilà bien longtemps, il emporta sa fiancée dans la forêt, au cours d'une autre fête de la moisson. Là, il vécut avec elle pendant près d'une année, puis elle mourut.
« A partir de ce moment, dit-il, je suis devenu fou de douleur. J'ai attaqué quiconque, homme, femme, enfant ou animal, se trouvait sur mon chemin. Et j'ai laissé derrière moi une piste sanglante qui ne pourra jamais s'effacer ». Et, ce disant, il montra ses mains, sur lesquelles on voyait des taches de sang. « Depuis quatre ans, j'ai retrouvé ma forme humaine et j'erre dans la campagne. Mais je voulais vous revoir une dernière fois. Voir le village et la maison où je suis né et où j'ai grandi. Ensuite, eh bien! Je redeviendrai un loup ».
Il n'a pas fini de prononcer ces paroles que, déjà, il a fait place à un énorme loup qui saute par-dessus les convives stupéfiés et disparaît dans la forêt. On ne l'a plus jamais revu depuis ...
Cette histoire ressemble trop à un conte de fées pour qu'on la prenne vraiment au sérieux. Est-elle née (les libations aidant) de l'imagination populaire, naturellement féconde ? Ou bien a-t-elle connu des versions successives, transmises de génération en génération, chaque conteur ajoutant des détails de son cru ? Nous ne le savons pas mais c'est assez probable.
Et, cependant, comme beaucoup de récits fantastiques faisant apparaître des loups-garous, elle prend ses racines dans la réalité. Folkloristes, mythologistes et historiens s'accordent sur ce point, comme James Stallybrass (Teutonic Mythology, 1883), John Fiske (Myths and Myth-makers, 1892) et Walter E. Kelly (Indo-European Tradition and Folklore, 1863). En fait, pour qui veut déterminer les sources objectives de tels récits, la difficulté majeure sera de faire la part des faits réels et de l'affabulation. Et notre histoire polonaise, de ce point de vue, constitue un exemple typique de cette interdépendance étroite de l'histoire et de la légende.
Les origines du mythe du loup-garou, c'est-à-dire la possibilité pour un être humain de se transformer en animal, et plus spécialement en loup, n'ont jamais été clairement démontrées : elles sont pourtant de toute évidence fort anciennes et communes à de nombreux peuples.
Déjà, au Vème siècle avant notre ère, Hérodote relate que les Grecs qui s'établirent sur les bords de la mer Noire considéraient les habitants de ces contrées comme des magiciens forts habiles, capables de se métamorphoser à volonté. L'historien grec parle d'une race d'hommes ayant le pouvoir de se transformer en loups et de reprendre, lorsqu'ils le désirent, leur apparence humaine.
On croyait, en ces temps lointains, que ces étranges mutations étaient le fait d'êtres humains anthropophages qui, par la pratique de la magie, prenaient l'apparence d'un loup pour satisfaire plus facilement leurs appétits monstrueux.
Les Anciens, dont les mythologies parlent d'hommes-loups, disaient que cette métamorphose permettait d'acquérir la force et la ruse d'une bête sauvage, mais que le loup-garou conservait voix et regard humains, ce à quoi, d'après eux, on pouvait d'emblée le distinguer d'un animal ordinaire.
Les Romains, eux aussi, attribuaient ces métamorphoses à la magie, et Virgile, au Ième siècle avant notre ère, mentionne cette croyance, ainsi que Properce. Et plus tard, Pétrone, qui joua un rôle prépondérant à la cour de Néron, raconte une savoureuse histoire de loup-garou dans son célèbre roman picaresque, le Satiricon. Notons que, pour les Grecs et les Romains, le fait d'être transformé en loup était parfois considéré comme un châtiment divin, et qu'il frappait toujours les mortels qui avaient sacrifié des victimes humaines. D'après Pline le Jeune, la métamorphose s'opérait alors que le « coupable » traversait à la nage les eaux d'un lac : en abordant à la rive opposée, il était devenu un loup. Dès lors, il était condamné à errer dans la campagne, avec d'autres loups-garous, pour une période de neuf ans. Si, pendant tout ce temps, il s'était abstenu de manger de la chair humaine, il lui était permis de recouvrer sa forme antérieure, marquée toutefois par les ravages du temps.
Au début de l'ère chrétienne, Ovide présente également la transformation en loup comme une punition infligée par les dieux. Il existe de nombreux exemples prodigieux de métamorphoses, depuis la création du monde jusqu'à Jules César. Le poète romain raconte ainsi comment Lycaon, roi d'Arcadie, ayant voulu mettre à l'épreuve l'omniscience de Jupiter en lui servant un plat préparé avec le corps d'un jeune garçon, fut pour ce crime transformé en loup. Il sema dès lors la terreur parmi ses anciens sujets. Platon et Pausanias rapportent des cas analogues.
Selon les cas, le processus de la métamorphose varie notablement. Parfois, la transformation est aussi soudaine qu'incontrôlable. D'autres fois, il suffit à celui qui veut changer de forme de revêtir la dépouille d'un animal pour prendre son aspect (c'est cette tradition qu'on retrouve dans les sagas norvégiennes et islandaises). Bien souvent encore, le loup-garou apparaît comme tel aux yeux de ses contemporains grâce à un charme secret : ils le voient sous l'aspect d'une bête sauvage, alors qu'en réalité il n'a pas changé.
Les loups-garous
Partie 2
ASTRAL 2000 - Gérard - Août 2016