Énigmatique Venise 1

Venise est une ville magique et ésotérique, autrefois fréquentée par des sorciers et des cabalistes, considérée comme la patrie des Templiers et riche en reliques issues de la Terre Sainte, mais surtout parsemée de symboles laissés au fil des siècles par des groupes secrets, des confréries maudites ou de célèbres sociétés mystiques comme celle de la Rose-Croix. Selon les experts en ésotérisme, l'ordre rosicrucien a été fondé en 1407 par le pèlerin allemand Christian Rosenkreutz, un occultiste et un mystique. Parmi ses adeptes figurent des personnalités telles que Léonard de Vinci, Nostradamus, Giordano Bruno, Galilée, Goethe et même le pape Jean XXIII. Il semble toutefois que l'Ordre ait été fondé dès 45 après J.-C. par le philosophe gnostique Ormus, originaire d'Alexandrie, converti au christianisme grâce aux prédications de saint Marc, qui, des siècles plus tard, est devenu le saint patron de Venise. C'est peut-être la raison pour laquelle la tradition rosicrucienne était si forte dans la cité lagunaire. Les rosicruciens, férus d'alchimie et de mysticisme, avaient créé la première société secrète de l'histoire, qui s'institutionnalisa plus tard avec les francs-maçons.
Le symbole des rosicruciens est la croix dotée en son sein d'une seule rose rouge dont ils ont tiré leur nom. Diverses interprétations ont été émises quant au choix de ces deux éléments. Les plus fondées se réfèrent à l'évolution spirituelle de l'homme : la croix représente la physicalité, et la rose le psychisme et l'émotivité. Il est indubitable que l'Ordre se voyait comme l'héritier officiel des Templiers, manifestant un intérêt marqué pour la philosophie et l'alchimie, nécessaires à une forme de connaissance plus intime et plus complète. Outre la croix et la rose, le symbole rosicrucien le plus courant était le pélican. Et c'est précisément un pélican qui est sculpté sur un chapiteau, placé au-dessus d'une colonne dans la loggia du Palais des Doges de Venise. Ce symbole témoigne non seulement de la présence rosicrucienne dans la ville et dans les plus hautes sphères du pouvoir, mais aussi et surtout de la propension de la lagune à la liberté de pensée et à l'ouverture d'esprit. Le pélican de la colonne est représenté en train de s'ouvrir le poitrail pour nourrir ses petits, à savoir les citoyens de Venise assoiffés de connaissances, mais aussi les quelques initiés capables de percevoir et de comprendre le message. Dans le symbolisme rosicrucien, le pélican engendre une progéniture, mais il la tue ensuite et la pleure. Après trois jours de larmes incessantes, le pélican s'ouvre la poitrine avec le bec, et le sang qui s'en échappe redonne vie aux jeunes défunts.

Le pélican rosicrusien

Dans le monde chrétien, le pélican se prête donc à un double symbolisme : c'est le Christ qui donne son sang pour sauver l'humanité, mais aussi Dieu le Père qui sacrifie son Fils, puis le ressuscite. Les rosicruciens réinterprètent ces symboles : le sang du pélican est la force spirituelle qui guide la main de l'alchimiste dans sa quête de perfection. Les rosicruciens ont laissé ce témoignage de leur présence à Venise afin d'en souligner l'essence alchimique : Venise jette des ponts entre différentes cultures, unit l'Orient et l'Occident et est la ville de l'eau et du feu, dont le destin est de vivre éternellement.

Extrait de « Misteri, crimini e storie insolite di Venezia », Alberto Pattacini, édition en italien, 2013

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